Silence de mort et petite fille...

Nous nous étions perdus... Ou plutôt... Elle s'était perdu ! Ah ! Misère ! J'avais tout tenté, du meilleur au pire, dans le seul but de la faire changer de direction ! J'avais tiré son sac, au point de presque le lui déchirer, je m'étais placé devant elle en battant des ailes et en hurlant de multiples crôassements, mais elle s'était mise à rire... J'avais tout tenté, mais rien n'y fut ! Elle avait continué à avancer de son petit pas joyeux, ne cessant de parler dans le vide et se moquant de moi, me traitant de froussard. Bien sûr, elle ne pouvait savoir que je la comprenais... A présent, nous nous trouvions dans un lieu lugubre et froid, qui ne me disait rien de bon ! Mais elle, continuait à sourire indéniablement, chantant parfois un air de musique que je ne connaissait pas. Soudain, alors que je faisait la moue de la meilleure façon que mon enveloppe charnelle puisse me le permettre, elle s'arrêta et cria, d'une voix aigue et enjouée.

-Oh ! Une petite fille !! Elle est trop migonne !!

Elle s'accroupit aux côtés de la petite et s'entreprit de lui étirer les joues, un large sourir sur son visage. La fillette devait avoir environ sept ans, elle avait la peau très pâle et des cheveux qui viraient au rose. Wenn ne mit pas longtemps à remarquer les pieds de l'enfant, nus et blancs.

-Tu n'as pas froid aux pieds ? S'enquit-elle d'un air soucieux. Tu t'appelle comment ?

La petite fille marchait sans s'arrêter. Elle parcourait des lieux et des lieux sans se soucier du paysage. Elle ne savait pas pourquoi elle ne s'arrêtait pas. C'était comme si ses pas la dirigeaient vers quelque chose... vers une réalité. Car oui, elle ignorait qui elle était, et c'était peut être son véritable "elle" qui voulait lui indiquer un chemin, une vérité quelconque. Bizarrement, ses pas finissaient toujours par être attirés vers les endroits déserts, lugubre et malfamés. Pourtant, ce n'était pas le sort réservé à une petite fille. C'est pour cela qu'Isatis était convaincue d'être quelqu'un d'autre.

C'est alors qu'elle errait seule dans les Limbes de Kinness qu'elle apperçu une grande fille courir vers elle et lui tirer les joues, comme on fait aux petites filles normales. Mais Isatis n'était pas une petite fille normale. C'est pourquoi, alors que l'autre lui demandait gentillement son nom, elle lui jeta un regard froid, glacial. Un peu choqué, l'autre fille n'eut le temps de rien dire, car la petite Isatis était en train de reculer lentement, fixant son opposante dans les yeux, puis s'arrêta à quelques mètres d'elle. Il y eut une formidable tension. Alors la petite se décida à parler, d'une voix sèche et légèrement menaçante :

-Qui es-tu ? Que me veux-tu ?

En réalité, Isatis n'est pas agressive. Elle est méfiante, ne fait confiance à personne, car elle a l'impression que en chaque personne se cache une part de cruauté. Elle l'a appris en vivant seule. N'importe qui peut profiter d'une petite fille à l'air abandonné, que se soit pour la vendre en esclavage ou d'autres choses bien pires encore. Mais elle ne saurait dire pourquoi cette jeune fille à l'air naïf accompagnée de son corbeau semblait différente des autres.
Alors Isatis décida de laisser un instant sa méfiance de côté.
Ce n'était pas comme ça qu'elle progresserait dans sa pauvre vie, si elle fuyait tout le monde. Elle pourrait au moins s'intéresser quelques minutes à une autre personne, pour une fois. Elle se détendit légèrement, ferma les yeux pour ne pas croiser ceux de la fille en face d'elle, et murmura, à peine inaudible.

-Je... On me nomme Isatis...

Consciente d'avoir fait une très mauvaise première impression, Isatis préféra se détourner et laisser la jeune fille et son corbeau derrière elle. Après tout, certains gens s'amusaient à dire qu'elle était maudite, c'était peut être le cas. Et elle ne voulait pas leur apporter d'ennuis...

Isatis s'arrêta net quand elle entendit la voix douce de son interlocutrice. En réalité, elle voulait que celle-ci lui fiche la paix, mais tout au fond d'elle même, elle éprouvait le besoin de se retourner vers elle et se sauter dans ses bras. C'était très étrange. Une partie d'elle recherchait l'amitié, et l'autre l'hostilité. Comme si... elle éprouvait le besoin de lui faire du mal, incontiemment...
De ce fait, la petite fille resta figée, sans savoir quelle émotion, quelle réaction adopter. C'était vraiment une étrange sentation. Alors, elle choisit : elle n'allait rien faire. Elle se retourna vers l'autre fille et se contenta de répondre à ses questions, sans se laisser submerger par une quelconque émotion dominante. Elle fit mine de soupirer, comme si l'autre l'ennuyait, et baissa la tête, comme si elle récitait par coeur son texte.

-Je n'ai pas de parents. Je n'ai aucun souvenir de ces personnes, et j'en ai déduis qu'elles ont rendu l'âme quand j'étais encore trop jeune ou qu'elles m'ont abandonnée. Je n'ai pas non plus de souvenir d'un quelconque foyer, ni d'une famille d'accueil. En réalité... je n'ai pas la moindre idée de qui je suis...

Elle marqua une pause, consciente qu'elle était en train de dévoiler à la jeune fille à peu près tout ce qu'elle connaissait de sa propre vie sans rien connaître sur elle. Au moins savoir son nom... puis disparaître comme si elles ne s'étaient jamais rencontrées. Elle baissa d'avantage la tête, comme un peu gênée par ce qu'elle allait demander juste après.

-Je... j'aimerais beaucoup savoir moi aussi... quel est votre nom... ?

Un peu honteuse d'accorder si rapidement sa confience à une inconnue, elle resta tendue, le regard tourné ailleurs, attendant juste une réaction, juste une parole...

Lorsque la petite lui demanda son nom, Wenn arbora un sourire rayonnant. Isatis, qui s'était montrée méfiante depuis le début de notre rencontre faisait preuve en un clin d'oeil d'un revirement de sentiment vis à vis de ma jeune propriétaire. Du moins, c'est ainsi que le vit Wenn.

-Je m'appelle Wenn ! Et son nom à lui, c'est Jester !

Fit elle en me désignant du menton. Je bâtis des ailes en un salut bougon.

-Cela doit être dur... continua la jeune fille, pensive... de ne pas avoir connu ses parents...

Elle se souvint de ces jours heureux passés à la ferme en compagnie de son père et de sa mère. Elle jouait avec ses frères et soeurs au chat perché ou à la marelle.... Elle gardait un très bon souvenir de son enfance... Mais elle ne se doutait pas que tout cela pût être faux... Un mensonge dont seul moi était au courant...

Elle s'approcha de la fillette et marmonna quelques paroles censées m'être inaudibles.

-Eh ! Isatis ! Tu veux jouer à un jeu ?

Je ne mis pas longtemps à comprendre de quel "jeu" elle parlait, car non seulement je le lus dans ses pensées, mais en plus de cela elle me fixa d'un sourire fourbe et sadique. Je pris mes ailes à mon coup, mais cette fois-ci encore, une bourrasque me ramena en arrière, aux pieds de ma maîtresse sans coeur... Dieu ! N'aurais-je pu être enfermé dans le corps d'un animal plus grand et plus lourd ? Il est certain que si j'étais un rhinocéros, ou une de ces bêtes là qui ressemblent quelques fois à des montagnes, elle aurait moins fait la maligne ! En quelques secondes seulement, alors que je m'étais relevé avec peine, un deuxième coup de vent m'envoya baladé quelques mètres plus loin, dans une flaque de boue épaisse et visqueuse... Elle riait sans s'arrêter, c'en était à croire qu'elle était infatigable...

Isatis fixait Wenn et son volatile d'un air intrigué. C'est la première fois qu'elle tombait sur des gens pareils ; souriants, amicaux, qui ne cherchaient pas en priorité à savoir d'où elle débarquait avant de lui poser de simple questions, comme bêtement lui demander son nom. Ils sortaient du lot. Ils était ceux qui pourraient, peut être, l'aider à découvir qui elle était. Et elle ne laisserait pas passer cette chance, par tous les moyens, elle essayera de tirer quelque chose de cette rencontre. C'est seulement après quelque minutes qu'elle remarqua enfin que le corbeau volait dans des sens peu normaux pour un oiseau, et que le vent ne cessait de tourner pour aucune raison apparente. Surprise, Isatis leva la tête vers Wenn.

-We... Wenn. C'est toi qui fait ça ?

Elle sut que c'était la vérité quand Wenn se tourna vers elle, un grand sourire mi-sadique, mi-amusé sur les lèvres. Isatis se tourna vers Jester, qui continuait à voldinguer dans le paysage. De toute sa courte vie, jamais elle n'avait vu pareille capacité à contrôler le vent, car son intuition surdéveloppée lui indiquait que ce n'était que l'oeuvre de sa compagne. Elle s'imagina alors ce qui pouvait lui arriver si elle arrivait à énerver Wenn... rien de bon dans tous les cas. Mais Isatis ne connaissait pas encore assez sa nouvelle connaissance pour la juger si rapidement. C'est alors que quelqu'un, plus exactement quelque chose, vint perturber leur petit jeu.

Un air froit et glacial, inverse à celui produit par la jeune Humaine, passa rapidement à côté d'elles. Quand elle voulurent se retourner vers l'étrange phénomène, celui-ci tournait déjà autour d'elles, puis se stoppa à quelques pas des deux filles. Isatis, sans savoir par quel prodige, avait tout de suite deviné ce que c'était ; l'âme d'un mort, un fantôme. Et celui-ci, qui n'avait pas hésité à les approcher, ne leur voudrait surement pas du bien. Les trois compères étaient sur son territoire, elle avait ses raisons de leur en vouloir. Et ce n'était pas pour rassurer la petite fille. Ses derniers souvenirs étaient trop courts pour avoir eu le temps de développer un talent. Elle ne savait malheureusement pas encore faire grand chose, et en combat, rien du tout en réalité. Ce n'était vraiment pas le moment de tomber contre un ennemi...

Wenn ne comprit pas vraiment ce qui se passa par la suite... Mais elle savait que la situation ne manquait pas d'être emprunte d'un grand danger. Par réflèxe, elle posa sa main gauche sur un de ses boomerangs, même si dans le fond, elle savait que cela ne servirait à rien contre notre adversaire... Elle se plaça devant Isatis, une main protectrice posée sur son épaule... Quant à moi, je volai à toute vitesse derrière la fillette aux cheveux roses, car je l'avoue je suis un vrai froussard... Comme toujours, ce que Wenn ignorait, je le savais. Ainsi j'étais au courant du danger qui se tramait : notre adversaire n'était autre qu'un spectre, furieux contre ces intrus que nous étions d'avoir pénétrer sur son territoire...

Les vents se mirent à tanguer et à s'agiter, comme à chaque fois que ma jeune propriétaire éprouvait de la peur... Soudain, une rafale de vent, se détachant des diverts courants d'air ambiants, fonça droit sur le fantôme, le pércutant de plein fouet. Il recula de plusieus mètres, sous le choc.

Je crus, pendant quelques secondes, que la partie fut gagnée, mais sans que je ne pûs m'en rendre compte, les yeux de la jeune fille s'élargirent, aussi bien sous l'effet de la surprise que de l'effroi qui l'envahi. Je me rendis compte avec inquiétude de ce qui se tramait... L'esprit du défunt, en ce moment même, tentait d'établir une comunication avec Wenn. Les fantômes avaient de nombreuses capacités, entre autre celle de communiquer par la penser avec un être vivant... Quant cela arrive, si le vivant ne refuse pas d'écouter le défunt, son esprit se retrouve complètement paralisé... C'est ce qui était en train de se produire... Wenn, totalement fascinée par la voix qui se percutait à son esprit, n'était plus capable d'émettre la moindre pensée... Moi, paraliser par la peur, je n'osai pas bouger... Que faire ? Comment ? Je n'en savais rien... Je fallisais, encore une fois à mon rôle de protecteur...

Et Isatis, elle, restait là, sans bouger. Jamais elle ne s'était retrouvée face à un pareil adversaire. Jamais elle n'avait eu aussi peur. Car ce spectre était l'image même de la terreur, de la mort. Et c'était cette même image d'elle même que les gens craignaient. Malgré tout, plus par reflexe qu'autre chose, elle leva les bras et les maintint de façon à protéger le pauvre corbeau qui s'était réfugié derrière elle. Elle ne bougea pas plus. Puis, elle le vit fixer d'une manière étrange sa nouvelle compagne.
Isatis n'eut alors qu'une envie, la protéger. Elle fit un pas en avant, hésitant, mais se freina soudain. Wenn était plus pâle que jamais. Elle ne bougeait plus, pas plus qu'elle-même. Elle était vide, vide de tout. La petite fille connaissait cette sensation. Elle l'avait déjà ressentit maintes et maintes fois.

Il fallait qu'elle réagisse. Et la seule manière pour une petite fille comme elle qu'elle connaissait dans ces cas-là était fort simple. Elle s'élança en avant, laissant derrière elle le pauvre Jester, et percuta la jeune fille de plein fouet de façon à la renverser. Les deux filles roulèrent au sol, et se relevèrent couvertes de boue et de poussière. Isatis fixa Wenn avec des yeux ronds.

-Wenn, ça va ??